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THEREPSICORE QUÈS ACO ?

Le Centre d’Histoire « Espaces & Cultures » (CHEC, Université Blaise-Pascal, Clermont 2) a organisé depuis la fin des années 1990 plusieurs journées d’étude et colloques sur le théâtre en France entre Lumières et romantisme.

capture_d_e_cran_2016-03-27_a_19.55.18.png Les historiens, historiens de l’art, littéraires et musicologues réunis en ces occasions travaillaient très majoritairement sur l’espace parisien, dont nul évidemment ne songerait à nier la richesse et la diversité. L’idée, néanmoins, s’est faite jour de développer depuis Clermont-Ferrand une vaste enquête sur les théâtres provinciaux, qui reprendrait et prolongerait celles qu’avait initiées Max Fuchs (La Vie théâtrale en province au XVIIIe siècle ; vol. I, Paris, Droz, 1933 ; vol. II, Paris, CNRS, 1986). Elle a conduit à monter en 2010 un projet en association avec les littéraires du Centre d’Étude de la Langue et de la Littérature françaises des XVIIe et XVIIIe siècles (CELLF 17e-18e siècles, Paris IV) et du Centre de Recherches sur les Littératures et la Socio-poétique (CELIS, Clermont 2), que l’Agence Nationale de la Recherche a accepté et financé durant quatre ans : THEREPSICORE. Le souhait des chercheurs était de recenser les salles, les artistes, leurs circuits et leurs répertoires pour aboutir à une meilleure connaissance de la diffusion, de la consommation et de la création en province pendant la Révolution et l’Empire. Afin que la transcription d’une partie des recherches puisse nourrir une base de données interactive et géo-référencée sur l’ensemble du monde des spectacles et des arts de la scène français de l’époque moderne, son traitement informatique fait l’objet d’un travail commun et d’une convention avec le Centre de Musique Baroque de Versailles (CMBV) pour abonder le portail numérique PHILIDOR 3. Sur celui-ci se trouvent déjà en partie les résultats d’une autre enquête menée depuis Clermont-Ferrand avec le soutien de l’ANR : MUSEFREM, sur les musiciens d’Église repérés à l’heure où la Révolution supprime les chapitres et les psallettes, les contraignant à trouver un nouvel emploi, notamment dans les concerts, les fanfares militaires et les théâtres. Trois années clés ont été retenues pour fixer les bornes chronologiques de THEREPSICORE : 1791, 1806 et 1813. Le 13 janvier 1791 ouvre le temps de notre enquête : en mettant fin au privilège des grandes scènes parisiennes et en autorisant « tout citoyen à élever un théâtre public et y faire représenter des pièces de tout genre », le décret le Chapelier fait du théâtre une entreprise commerciale privée et bouleverse l’activité ; l’ouverture de nouvelles enceintes, amplifiant la théâtromanie du demi-siècle précédent, et le lancement dans la carrière de nouveaux artistes, signifient un changement d’ère. Les décrets impériaux de 1806 et 1807 mettent un terme à la liberté d’entreprendre et restaurent l’ancien système du privilège: en 1806, est adopté le Règlement des théâtres et sont entérinées la partition de l’empire en vingt-cinq districts et leur desserte par une ou deux troupes brevetées. Un an après l’adoption des décrets de Moscou, 1813 marque à la fois la fin d’un temps politique — dont on sait combien il est déterminant sur la réorganisation de l’activité dramatique nationale — et la seconde restructuration de la carte théâtrale française. En 1806, chaque préfet est sollicité par le ministère de l’Intérieur pour compléter un questionnaire en neuf points sur la réalité de l’économie du spectacle dans les départements. Les réponses, quand elles existent, offrent un imparfait panorama d’ensemble de l’activité au sortir de la décennie révolutionnaire. Elles permettent cependant une suggestive comparaison avec les informations compilées quelques années plus tard, en 1813, dans les nouvelles grilles à nouveau adressées aux préfets. Le tout est principalement conservé dans les séries F/7/3493 et 8748 des Archives nationales, mais l’enquête a été complétée par de multiples dépouillements dans les séries F/17 et F/20, et surtout dans les archives départementales (séries L, M, T, éventuellement F et J) et municipales (séries D, I, M et R), sans exclure les départements annexés et les Républiques-Sœurs. Délibérations, arrêtés préfectoraux et municipaux, livrent essentiellement des informations sur les salles de spectacle, sur les règlements intérieurs et les mesures de police les concernant, mais ils consignent aussi les contrats passés avec les administrateurs des troupes. Des tableaux dressés par les directeurs proposent des listes de répertoires, classés par genres, offertes à la censure des autorités locales, départementales et ministérielles ; des listes de pièces jouées ; des tableaux de distribution, limités la plupart du temps aux comédiens, musiciens et chanteurs, ce qui n’exclut pas, çà et là, la mention d’un concierge, d’un souffleur, d’un accessoiriste ou d’un ouvreur. Les multiples correspondances échangées entre le monde de la scène et les magistrats révèlent quant à elles un quotidien aussi animé qu’incertain, faisant la part belle aux tractations journalières incontournables de l’exercice même du métier (négociation de l’utilisation des salles, organisation des tournées, sous-traitance des privilèges, gestion des finances et des ruptures abusives de contrats, etc.). D’un département à l’autre, les gazettes révolutionnaires puis impériales ne traitent pas également des questions théâtrales, purement et simplement absentes de certaines ; quand elles les abordent, avec une périodicité très variable, elles privilégient les annonces de spectacles (programmation, dates, tarifs, distribution, soit une reproduction des rares affiches qui subsistent par ailleurs) ou les comptes rendus, qui peuvent, au-delà des thèmes précités, nous renseigner précisément sur la qualité du jeu, du texte, du public, permettant au passage de définir les critères du bon goût alors en vogue. Ces rubriques représentent bien souvent l’unique moyen de reconstituer une véritable chronologie des spectacles, de leur diffusion depuis les scènes nationales principales, et de recomposer une programmation journalière. Le temps de la représentation, sur scène et dans la salle, où acteurs et spectateurs interagissent les uns envers/contre les autres, réapparaît sous la plume des commissaires et des policiers postés au parterre ou dans les loges ; dès lors que le public s’électrise, siffle, bouscule, leurs rapports retranscrivent toutes ces atteintes à l’ordre. Le temps des plongées en archives achevé, le lourd travail actuel consiste à remplir la base de données, exercice chronophage qui dépasse de beaucoup le temps d’un contrat ANR. On sait dès à présent que les résultats de l’enquête bouleverseront notre connaissance de la géographie, de l’économie des spectacles et des troupes (professionnelles et amateurs) à la fin de l’Ancien Régime, qu’ils ouvriront grand la porte sur le spectre social des publics attirés par ces lieux d’une liberté résistant à nombre d’interdits et d’impuissants contrôles. Des résultats partiels ont déjà fait l’objet de plusieurs journées d’étude et de publications. Philippe BOURDIN Journées d’étude et colloques: Philippe BOURDIN, Gérard LOUBINOUX (dir.), Révolution française et arts de la scène, actes du colloque de Vizille (juin 2002), Presses universitaires Blaise-Pascal, 2004, 606 p., et La scène bâtarde, des Lumières au romantisme, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2004, 334 p. ; Philippe BOURDIN et Françoise LE BORGNE (dir.), De la scène au foyer. Décors, costumes et accessoires dans le théâtre de la Révolution et de l’Empire, Actes du colloque de Vizille (14-15 juin 2007), Presses universitaires Blaise-Pascal, 2010, 363 p. Parmi les ouvrages collectifs: « Théâtre et révolutions », numéro spécial des AHRF (n° 2-2012) ; Studi Francesi, n°169, 2-2013 ; Pierre-Yves BEAUREPAIRE, Philippe BOURDIN, Charlotta WULFF (dir.), Moving scenes. The Circulation of Music and Theatre in Europe in the Age of Enlightenment and Revolution, Oxford, Voltaire Studies, 2016 ; Thibaut Julian, Vincenzo de Santis et alii (dir.), Fièvre et vie du théâtre sous la Révolution française et l’Empire, Paris, Garnier, 2016.

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